top of page
  • Facebook - Gris Cercle
Rechercher

Le concile cadavérique: Un pape déterré et jugé.

Photo du rédacteur: Julie Bernard Julie Bernard

Pour Voltaire il s'agit d'une "farce aussi horrible que folle". En l'année 897 s'ouvre un procès des plus macabres : la dépouille en putréfaction du pape Formose quitte son tombeau pour être jugée. Oui c'est une histoire vraie. Le problème majeur de cette affaire c'est que tous les documents en lien avec le procès furent détruits. Heureusement de nombreuses sources décrivent les événements. Malheureusement, elles présentent beaucoup d'incohérences, dans lesquelles il faut faire le tri.


Autopsie de l'affaire en 5 points :


1. Qui était Formose ?


Du début de sa vie on ne sait presque rien, les sources ont du mal à s'accorder sur son lieu de naissance : Rome pour l'Encyclopedia Britannica, la Corse pour d'autres. On situe sa naissance aux alentours de 816, mais c'est pas le plus important dans cette histoire.


On est au moins sûr d'une chose, en 864 Formose devient évêque de Porto. En tant qu'homme d'Eglise il voyage, en France par exemple, où il devient très proche de notre roi Charles II le Chauve. C'est lui qui suggère à Charles de se faire couronner par le Pape, donc en terme d'influence politique, il place déjà la barre très haut.


2. Les facéties de Formose.



Jean-Paul Laurens, Le pape.

Ce que Formose désire par-dessus tout, c'est de devenir pape, alors en 872 il pose sa candidature pour le siège pontifical. Il est recalé parce que le pape de l'époque, Jean VIII, lui reproche plein de choses. D'abord il s'est opposé à l’empereur, il a quitté son diocèse sans l'autorisation du pape, il a célébré un office divin quand c'était pas le moment, et il aurait même conspiré pour détruire le siège pontifical. La liste de ses défauts est longue, et pas forcément vraie, ce qu'il faut retenir c'est que Formose n'a pas beaucoup de copains dans les hautes sphères de l'Eglise.

La sentence : l’excommunication. Il est exclu, ne peut plus retourner à Rome ni exercer sa fonction, surtout, il ne doit plus briguer le trône pontifical. Mais ça ne dure pas longtemps, puisque 6 ans plus tard la sanction est levée.

En 883 le pape Marin Ier (successeur de Jean VIII) lui rend même son diocèse. Formose continue de gravir les échelons et le 6 octobre 891, après beaucoup d'efforts, il est enfin consacré Pape. Le début de la gloire... Et des problèmes.


A l'époque le Pape n'a pas du tout le même rôle qu'aujourd'hui, il tient une place majeure sur l'échiquier politique, et sa parole est la plus importante de toute. A Rome à ce moment là c'est la guerre pour savoir qui mérite d'être empereur, et deux clans se forment. L'un autour de Guy de Spolète l'empereur en place, l'autre autour d'Arnulf de Carinthie. L'aristocratie est plutôt du côté de Guy, donc à la mort de ce dernier, elle pousse Formose à couronner le fils de Guy : Lambert. A la mort de Lambert, Formose fait une boulette en couronnant Arnulf. Il rompt ainsi son alliance avec les Spolète et se met à dos la moitié de la population italienne qui l'aimait encore. Pas malin.


3. La mort du pontife.


La danse des morts, le pape. Jacques Anthony Chauvin.

A l'âge de 80 ans, Formose tire sa révérence. C'est un âge hyper avancé pour l'époque (on est au IXe siècle quand même.) Boniface VI lui succède, mais le pauvre meurt 15 jours après, c'est donc Etienne VI qui prend les rennes du pontificat. Le nouveau pape est plutôt du côté des Spolète, et eux, ils ont la haine. Etienne VI va devenir l'instrument de leur vengeance contre Formose, c'est lui qui a l'idée du Concile cadavérique, un concept assez spécial qui consiste à juger Formose alors qu'il est déjà mort. On verra plus tard que c'était surement pas l'idée la plus brillante d'Etienne VI.










4. La mise en scène macabre d'un procès historique.


Le pape Formose, Jean-Paul Laurens, Petit Palais, Paris.

En 897, un an après le décès de Formose s'ouvre son procès. On le sort de son tombeau et déjà ça commence mal, les sources postérieures ( L’Invectiva in Romam, les Annales alémaniques et la Chronique d’Hermann Contractus ) s'accordent pour dire que le cadavre fut tiré de son cercueil par les pieds et que "du sang coulait de sa bouche sur le pavement".

Ces détails croustillants, mais contestables, sont surtout là pour dénoncer l'acte d'Etienne VI.

Si le fait d'exhumer un cadavre desséché pour le juger parait surprenant, on en trouve de nombreux exemples au fil de l'Histoire. Ce qui est novateur, c'est de faire ça avec la dépouille d'un pape, alors on y met les formes. On l'habille de ses vêtements pontificaux et on l'assoit sur un trône. C'est pas grave qu'il sente le rat mort, tant qu'il est bien sapé. Là, le procès peut commencer. En gros on l'accuse d'avoir voulu devenir pape, d'être devenu pape, et de pas avoir assuré quand il était pape.

Avec du recul je ne suis pas certaine que Formose soit d'accord avec tout ce qui se raconte lors du procès mais il n'a plus vraiment son mot à dire. Son avocat répond aux questions à sa place.

5. Sentence et réhabilitation.


« Une cérémonie abominable suivit, où le mort fut dégradé, dépouillé des vêtements pontificaux auxquels collaient les chairs putréfiées, jusqu'au cilice que portait ce rude ascète ; les doigts de sa dextre [main droite] furent coupés, ces doigts indignes [selon ses juges], qui avaient béni le peuple. »

— Daniel-Rops, L’Église des temps barbares, p. 572.


Le jugement du pape Formose par Jean-Paul Laurens, 1870. Paris, Petit Palais

Evidemment, il est jugé coupable. Etienne VI, qui ne veut pas faire les choses à moitié, annule TOUTES les mesures et décisions prises par Formose pendant son pontificat. Même les hommes à qui Formose a donné des responsabilités perdent leurs postes. A première vue c'est le bordel, mais pour Etienne VI c'est l'occasion de rayer de la carte le nom de Formose, comme s'il n'avait jamais été pape. On retire au cadavre ses vêtements de souverain pontife, et pour faire les choses bien on lui coupe deux doigts de la main droite à l'aide d'un glaive. Symboliquement c'est le rituel de consécration du pape qui est inversé ; On échange ses vêtements de prélats contre des nippes laïcs, on le fait descendre de son siège puis on lui retire l'instrument de la bénédiction : ses doigts. Quant à la suite, les sources se contredisent encore une fois, certaines affirment que son cadavre fut jeté dans le Tibre, d'autres dans une fosse commune, enfin une troisième raconte que la dépouille fut déterrée par des bandits, puis jetée dans le Tibre.

Bref c'est pas la joie. Et pour Etienne VI non plus, parce que son acte a réveillé la colère des Formosiens (les potes de Formose). Etienne sera emprisonné puis retrouvé étranglé.




 

Saintes Armand, Le Vatican ou portraits historiques des papes qui se sont succédés sur le saint siège: depuis S. Pierre jusqu'à Léon XII. Lugan Libraire, 1825.


Jégou, Laurent. « Compétition autour d’un cadavre. Le procès du pape Formose et ses enjeux (896-904) », Revue historique, vol. 675, no. 3, 2015, pp. 499-524.


Comments


JE M'INSCRIS POUR NE MANQUER AUCUN NOUVEL ARTICLE

  • Grey Instagram Icon
  • Grey Facebook Icon
  • Grey Pinterest Icon
  • Grey Twitter Icon
  • Grey YouTube Icon
bottom of page