Triste histoire que celle de Sawtche, esclave et bête de foire, adulée du public pour son postérieur que l'on disait fort large. Sa vie sera tragique, sa mort placée sous le signe d'une fascination morbide.
C'est en Afrique du Sud, autour de 1789, que naquit Sawtche du peuple Khoikhoi. La même année en France est proclamée la déclaration des Droits de l'Homme, qui, visiblement, s'applique à tous sauf aux peuples d'Afrique.
Née esclave, c'est le mirage d'une vie pleine de gloire et d'aisance qui pousse la jeune femme à rejoindre l'Europe. Comment est-elle arrivée là ? C'est Hendrick Caezar, son maître, qui lui offre une porte de sortie en devenant son imprésario.
Naissance d'une Venus.
Arrivée à Londres en 1810, elle prend le nom de Saartjie (petite Sarah) Baartman et endosse le rôle d'un monstre de foire. On peut lire dans les journaux de l'époque
"La Vénus Hottentote peut être vue entre 1h et 5h de l'après midi au n°225 de Picadilly [...] au tarif de deux shilling par personne" (Morning Post, 20 septembre 1810.)
Si le mot Vénus renvoie à la déesse romaine de la beauté, il est associé au terme péjoratif "hottentote" et prend une forme différente : celle de l'humiliation. C'est une Vénus inférieure, que l'on moque pour son hypertrophie des hanches, des fesses, et pour ses organes génitaux saillants.
"La Vénus hottentote a un visage abominable aux yeux d’un Européen et une croupe si volumineuse qu’elle peut servir de siège à un enfant. "
Le Petit Parisien, 17 septembre 1888.
Elle joue un rôle, celui d'un fantasme européen pour les femmes exotiques et sauvage. Tous les jours elle est exhibée dans une cage, le corps peint, qu'elle agite au son d'un instrument de musique. Le public est sidéré, on se presse pour admirer le premier freakshow. Tous veulent la toucher. On la pince, la pique, la tripote, on lui donne même des coups de cannes à travers les barreaux de sa cage...
Mais quel rôle tient réellement Saartjie ? Elle affirme qu'elle est artiste et reçoit un salaire, pourtant les ligues anti-esclavagistes se déchaînent contre Caezar, et lors du procès, les défenseurs de Saartjie refusent de voir en elle une actrice.
Soumise à son maître, elle le fut c'est certain. Mais Saartjie Baartman jouait la comédie dans l'espoir de recevoir une somme d'argent, dont elle ne vit jamais la couleur.
Outrage et déchéance
L'année 1814 marque un changement : elle est vendue à un nouveau maître peu scrupuleux, Henry Taylor, qui l’emmène à Paris, où le succès du spectacle dépasse ses espérances. Durant trois jours elle est exhibée dans le jardin du roi, où scientifiques, anatomistes et artistes la palpent, l'étudient et en tirent de nombreux croquis et dessins.
La jeune femme n'a que 25 ans lorsqu'elle change à nouveau de mains, sous la tutelle d'un certain Réaux, dresseur d'animaux. Son état de santé va alors dangereusement se dégrader. Les fortes doses d'alcool que lui fournissent Réaux inhibent sa douleur, son désespoir et sa colère.
Lorsque son maître l'exhibe dans les Salons de libertinages et la prostitue, l'eau-de-vie la rend également plus docile et soumise. En raison de ses organes génitaux particulièrement développés, les hommes pensaient qu'elle s'essayait aux pratiques sexuelles les plus obscènes et débridés, ce qui ne faisait qu'accentuer leur fascination bestiale.
La pneumonie aura raison de son corps affaibli, et le 29 décembre 1815, la vénus hottentote s'éteint dans un bordel. Son calvaire prend fin, mais son corps lui, ne disparaît pas.
Dissection macabre
Pour les scientifiques, Saartjie est peut-être la réponse à la question : Qu'y a-t-il entre le singe et l'Homme ? En 1815 Geoffroy Saint-Hilaire avait déjà conclu que la jeune Africaine était apparentée de très près aux orangs-outans, à cause de "son museau considérable" et "la prodigieuse taille de ses fesses".
A sa mort, il impensable de laisser passer une ultime occasion d'étudier son corps.
Le professeur Georges Cuvier, éminent anatomiste, s'empare de la dépouille avant même que le service de l’État-civil ne soit mis au courant du décès. Ultime injure, il entreprend de disséquer la Vénus dans le laboratoire du Muséum d'Histoire Naturelle, exécute un moulage de son corps, en extrait son squelette, son cerveau et ses organes génitaux, qu'il conserve dans du formol. Il conclut enfin que si Saartjie n'est pas un singe, elle constitue le maillon le plus bas de l'évolution humaine, étant totalement inférieure aux Hommes blancs.

Une affaire qui dure... depuis trop longtemps.
Macabre découverte que celle du scientifique américain Stephen Jay Gould en 1974, lorsqu'il se rend dans les réserves Musée de l'Homme de Paris :
Je vis quelques-unes des pièces à conviction de l'histoire du racisme qui me plongèrent dans le bain de la mentalité du XIXe siècle et me procurèrent un frisson d'horreur : trois bocaux de plus petite taille contenant les organes sexuels disséqués de trois femmes du Tiers-monde (3). L'un des trois bocaux portait une étiquette avec la mention "Vénus Hottentote".
Car depuis 158 ans les restes de la malheureuse ornent les salles d'expositions du musée, à partir de cette date et sûrement pour des raisons éthiques, ils furent relégués dans les réserves, mais le moulage de son corps fut de nouveau offert au public, lors de l'exposition "La Sculpture Ethnographique : De la Vénus Hottentote à la Tehura de Gauguin ", au Musée d’Orsay en 1994.
C'est à la fin de l'Apartheid que renaît l’intérêt pour la Vénus noire. En 1994 Nelson Mandela demande à l’Etat français la restitution des restes de la jeune femme en Afrique du Sud. C'est un échec, car on considère que les restes de Saartjie "font partie des collections nationales" françaises.
« l’exhibition de son postérieur et de ses organes génitaux pour amuser les foules de gens sans cœur viole la dignité de mon peuple. »
(Président de la conférence nationale Griqua, s'adressant aux autorités Sud-Africaines, 1999.)
La demande fut réitérée en 1996, puis en 2000, sans succès. Il faut attendre 2002 pour qu'une nouvelle loi entre en vigueur. Les funérailles eurent lieu en Afrique du Sud, dans sa province natale, en présence de son peuple.

L'histoire de la Vénus noire est celle d'une victime du racisme scientifique européen, symbole de la violation des droits de l'Homme. Cette femme qui parlait quatre langues fut déshumanisée et exposée durant plus de 150 ans. Aujourd'hui il existe une rue "Georges Cuvier", et une autre "Geoffroy Saint-Hilaire" à Paris. Alors le débat est ouvert : Est-il encore concevable d'offrir une telle renommée aux scientifiques qui ont éclaboussé de racisme les recherches du XIXeme siècle ?
- GOULD, Stephen Jay, Le Sourire du Flamand Rose : Réflexions sur l’Histoire Naturelle, Paris : Seuil, 1985, p.267.
- BADOU, Gérard, L'énigme de la Vénus hottentote, 2000.
- MOINDROT, Isabelle, L'Altérité en spectacle : 1789-1918, Presses universitaires de Rennes, 2019.
- Rapport fait au nom de la commission des affaires culturelles, familiales, et sociales sur la proposition de loi adoptée par le sénat, relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud. Par M. Jean LE GARREC, Député.
Pour aller plus loin -> Vénus Noire, film d'Abdellatif Kechiche, 2010.
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