Il était une fois, dans notre beau royaume de France, une fistule anale causant de sacrées douleurs à notre bon roi Louis XIV. Mais, qu'est ce qu'une fistule anale me demanderez vous ? Eh bien tout bonnement un abcès au rectum. Cet abcès aurait été causé par les nombreux lavages du rectum reçus par le roi, réalisés avec des clystères (seringues métalliques injectant de l'eau et parfois des médicaments ; seringues non-stérilisées bien-sur !).
Ainsi donc, après de longs mois de douleur et sans solution, les médecins du roi se voient humiliés et dans l'obligation de faire venir un chirurgien, afin que celui-ci diagnostique la fistule.
Battle royale.
Humiliés oui, car en 1163, les médecins, faisant parti du clergé, déclarent : "L'Église hait le sang" (6ème Concile de Tours), et il était donc interdit à tout membre du clergé de pratiquer la chirurgie. Les actes chirurgicaux étaient réalisés par des "opérateurs", vus par les médecins comme inférieurs, illettrés, et surtout honteux. En effet, le contact avec le sang était perçu comme malpropre.
Après quelques temps, deux teams se créent, et leurs disputes deviennent telles qu'en 1660, à l'aide d'un arrêt du parlement de Paris, Louis XIV organise le rassemblement des opérateurs et des barbiers, ces derniers étant plus proches d'objets coupants et de précision. Comme les barbiers, les chirurgiens durent donc tenir des boutiques dans la rue, normal.
La sainte opération.
Le roi se fait diagnostiquer, et est finalement opéré sans anesthésie (*rire nerveux*) le 18 novembre 1686 par Charles-François Félix, premier chirurgien du roi, obéissant aux ordres des médecins. Mais attention, on parle quand même du derrière royal, alors pendant plusieurs mois avant l'opération, Félix s'entraîne sur des prisonniers et malades du royaume; royaume qui regorgeait apparemment de fistules anales (bon appétit bien-sur).
L'opération est un succès (enfin, le roi n'est pas mort quoi), néanmoins, il n'est pas guéri pour autant. Ainsi donc, d'autres opérations eurent lieu, dont l'une le 7 décembre 1686. En mars 1687, Louis XIV est guéri et Félix est couvert d'or, reçoit des terres, et il est anobli. Bim, dans les dents des médecins. En plus de cela, la fistule devient une marque de noblesse et est à la pointe de la mode, charmant.
Et "God save the Queen" dans tout ça ?
Tout est bien qui finit bien, mais bon, on ne voit toujours pas le rapport avec l'hymne anglais. La légende, alimentée par les Souvenirs de la Marquise de Créquy, raconte donc que, pour célébrer la réussite de l'opération, Madame de Brinon, directrice de la Maison royale de Saint-Louis, écrit un hymne, chanté par les Demoiselles de Saint-Cyr et mit en musique par Lully (surintendant de la musique à la cour) : le cantique "Grand Dieu sauve le roi", inspiré de la mélodie du "Te Deum" de Lully, qu'il avait créé 10 ans auparavant. Plus tard, en 1714, l'Allemand Handel, travaillant pour le roi George I est en visite à Paris. Il entend l'hymne, le copie et le rapporte au roi à son retour en Angleterre, et c'est ainsi que "God Save the Queen" serait né.
Rétablissons la vérité !

Eh non, malheureusement, vous l'aurez compris c'est une légende et même si nous aurions tous préféré que l'hymne de nos voisins les britanniques soit tiré des fesses de notre bon roi, l'histoire l'a voulu autrement.
En effet, les vraies origines de "God save the Queen" ne sont pas claires. Dans le manuel de culture musicale, The Oxford Companion to Music de 1938, Percy Scholes (1) attribue la mélodie a John Bull (2). Pour les premières paroles, il cite Henry Purcell (3), une théorie retenue en partie dans un article d'octobre 1836 de The Gentleman's magazine.
Néanmoins, beaucoup d'autres possibilités s'ajoutent à la liste. Parmi elles, un dicton de la Royal Navy, des versets de la King James Bible (1611, première bible traduite en anglais), et enfin, un chant écossais de 1611, "Remember O Thou Man".
Pour la petite histoire.
Les anglais ne pourront chanter l'hymne dans sa forme actuelle, la main sur le cœur, qu'après son apparition dans le Thesaurus Musicus de 1744, une collection des nouvelles chansons jouées dans les théâtres de sa Majesté, encore une fois sans attribution.
En septembre 1745, l'hymne, puisqu'il figure dans le Thesaurus Musicus, est donc reprit après deux représentations à Londres, au théâtre royal de Drury Lane (harmonisé par le compositeur anglais Thomas Arne) et à Covent Garden (adapté par Arne et son apprenti Burney) afin de créer un sentiment d'unisson autour du monarque de l'époque, George II d'Hanovre. Celui-ci venait tout juste d'être battu par l'armée de Charles Edward Stuart lors de la bataille de Prestonpans, à quelques kilomètres d'Édimbourg, le 21 septembre 1745.
L'Écosse sur le testament.
Attention spoiler : tous les rois s'appellent George, James ou Charles de l'autre coté de la Manche.
Alors en effet, Charles Edward Stuart envahi l'Écosse en 1745 afin de la reprendre au roi George II d'Hanovre, clamant qu'elle appartient à sa famille, les Stuart.
Charles Edward Stuart était l'arrière petit fils de James Stuart, aussi connu sous le nom de James VI d'Écosse. James fut le premier roi d'Écosse et d'Angleterre grâce à l' "Union of the Crowns" en 1603, et devint dés lors James I de Grande-Bretagne. La dynastie des Hanovre commencera en 1714.
Malgré sa victoire lors de la bataille de Prestonpans en septembre 1745, Charles Edward Stuart se fait battre l'année suivante par le roi, et retourne plus tard en France.
Propagation.
L'hymne est si rapidement propagé de théâtre en théâtre, d'abord dans Londres puis dans le pays, et crée un tel engouement qu'il est publié dans l'édition d'octobre 1745 de The Gentleman's Magazine, toujours sans attribution. Il est ensuite reprit lors d'événements en rapport avec la royauté, et ne devient un hymne "officiel" qu'au couronnement de la reine Victoria en 1837. Il se propage plus tard à l'étranger, où il figure dans les livres d'hymnes nationaux, et est ensuite utilisé par d'autres pays.
Enfin, dans la version d'Arne et Burney, adaptée pour le théâtre, les paroles insistaient sur la loyauté envers le roi, et bien que de nombreux changements aient été réalisés et certaines paroles ajoutées où adaptées pour différentes occasions, ce sont celles de Arne et Barney qui sont restées. Étrangement, aucune texte officiel ne dit que "God Save The Queen" est l'hymne de la Grande Bretagne, mais il est utilisé comme tel, avec la possibilité d'alterner entre Queen et King selon le monarque.
Alors, déçu(e) ? Oui, nous aussi.
(1) musicien, journaliste et écrivain anglais.
(2) musicien et compositeur anglais, morceau de clavier de 1619 pour Elizabeth I.
(3) musicien et compositeur anglais, écrites pour le roi James II, première version donc dans laquelle Queen était remplacé par King.
Autres interprétations de l'hymne :
- Nous sommes en 1977 en Angleterre et le mouvement Punk, à l'origine composé de jeunes travailleurs Anglais insatisfaits des échecs du gouvernements, vient à peine d'être créé. C'est dans ce contexte que le groupe Sex Pistols lâche sa bombe :
"God Save The Queen", revisitée sauce punk. Déjà connu pour quelques débordements pas hyper appréciés par la société Anglaise, ils sortent leur chanson en mai 1977, apparemment sans savoir que le jubilé d'argent de la reine Elizabeth II aurait lieu deux semaines plus tard (hum hum). La chanson connaît un énorme succès, néanmoins, à cause des paroles et de la couverture, les deux n'étant pas très jojo envers la reine, elle est bannie de la BBC et n'atteindra jamais la première place des charts.
Le 7 juin, ils jouent leur titre sur un bateau remontant la Tamise et passant devant le Parlement, deux jours avant que la reine ne fasse exactement la même chose (enfin sans chanter quoi) pour le jubilé. La police arrête le concert et plusieurs personnes par la même occasion. Le pays est choqué, et c'est exactement l'effet recherché qui se produit : un énorme coup de pub pour le groupe. Bien qu'ils se soient mis la majorité de la société anglaise à dos, les Sex Pistols ont marqué l'histoire et la pop culture.
- Le groupe Anglais Queen à produit une version de "God save the Queen" dans son album A Night at the Opera. La version a été jouée en 2002, lors du jubilé d'or de notre bonne vieille (éternelle ?) reine Elizabeth II, une performance durant laquelle Brian May se trouvait sur le toit de Buckingham (oui oui).
- L'un des chants patriotiques américains, "My country, 'Tis of thee", reprend exactement la même mélodie que "God save the Queen". Seules les paroles sont différentes.
N.b : Pour une question de style, tous les prénoms de monarques britanniques sont écrits à l'anglaise. C'est bien plus cool.
Bernard, Leon. 1962. "Medicine at the court of Louis XIV". NCBI. 204-206.
De Froullay, Victoire. 1873. Souvenirs de la marquise de Crequy de 1710 à 1803. 130. Garnier Frères.
Dimont Charles. 1953. "God Save the Queen : the History of the National Anthem". History Today, Volume 3 Issue 5.
Hall, James. 2017. "God Save the Queen at 40: how the Sex Pistols made the most controversial song in history". The Telegraph.
Hawkes, Natalie. 2009. ""Antoine Daquin – Premier Médecin to Louis XIV (1672-1693). Cour de France.fr. Article inédit publié en ligne le 1er juin 2009 dans le cadre du projet de recherche "La médecine à la cour de France".
Jahn, Anne-Sophie (réalisatrice). 2013. "Les incroyables trésors de l'Histoire : l'écarteur d'anus et le bistouri de Louis XIV". Le Point. 2 minutes.
Lampe, John Frederick, John Blow, Daniel Purcell, Henry Purcell, George Frederic Handel, Henry Carey, Solomon Eccles, John Weldon, Richard Leveridge & Maurice Greene. 1745. Thesaurus musicus : a collection of two, three, and four part songs : several of them never before printed, to which are added some choice dialogues set to musick by the most eminent masters. Volume I. 22. J.Simpson London.
Larousse. "Jean-Baptiste Lully ou Jean-Baptiste Lulli". s.d.
Perez, Stanis. 2007. La santé de Louis XIV, une biohistoire du Roi-Soleil. Éditions Champ Vallon.
Poetical Essays. Octobre 1745. The Gentleman's Magazine and Historical Chronicles : Volume XV for the year MDCCVXL. 552. Sylvanus Urban (Edward Cave).
The Editors of Encyclopaedia Britannica. "God Save the Queen : British National Anthem". s.d.
The History of "God save the King". Octobre 1836. The gentleman's magazine : Volume VI. New Series. MDCCCXXXVI July to December Inclusive. 369-374. William pickering, John Bowyer Nichols and Son.
"National Anthem". The Home of the Royal Family. s.d.
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